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Lendemain poétique

25 avril 2006

Usine palpite

Le lendemain, l’usine offre son autre visage, celui laiteux, lisse et distant qu’elle réserve aux adultes et au quotidien. Un visage de poussière et de labeur, un ventre grouillant d’armées de mineurs qu’elle happe et rejette à heures fixes et immuables, autour desquelles palpite le reste du monde, l’attente des femmes, la parole des cafés.
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23 avril 2006

La neige sur les hauts fourneaux

Cette nuit tu te relèveras, te posteras à la fenêtre de la salle de bains pour plonger ton regard dans le ronflement de la cokerie, les yeux rougis des flammes des hauts fourneaux, l’usine est ta mère plus forte que tout qui ne dort jamais, veille sur ton pays, l’usine ne connaît pas l’absence, dans ton esprit d’enfant l’éternité a la saveur du fer, je te souhaite ne jamais connaître la neige sur les hauts fourneaux te disait ton grand-père, et la neige un jour ou une nuit s’est posée puis les hauts fourneaux se sont agenouillés et des milliers de gens sont devenus absents à eux-mêmes, retraités de quarante ans jouant aux boules dans les rues vidées des cités ouvrières, mais cela tu ne le sais pas encore. Tu es l’enfant insomniaque que la nuit appelle et qui écoute sa vie ronronner dans la puissance de l’usine, le temps vaut de l’or en fusion, ce temps dérobé au sommeil des autres qui t’emplit comme une seconde vie, dans le velours noir de la maison qui dort. C’est la nuit, la nuit est ton pays et ton pays est rangé. Ton petit frère dort parce qu’il n’est pas encore mort.
23 avril 2006

Dimanche s'endort dans discours des familles.

Dimanche s'endort dans discours des familles. Ça va la santé et ne me réponds surtout pas que non, ça va pas, ou alors vite, ne précise rien, et tu as vu Le Pen il reviendrait aux élections, c'est une question, on attend le ton de la réponse pour savoir de quel côté se ranger, quant à l'Iran tu ne dirais que des banalités à pleurer sauf que toi tu préfères gueuler. Dimanche s'endort pas pour tout le monde, dimanche c'est juste la veille d'un nouveau jour pour pétrir ce quotidien de l'entreprise, transformer la pâte, pour ça y a les mandats, surtout de délégué, surtout de délégué syndical, bien sûr le geste est parfois évasif, on n'est pas délégué de plusieurs centaines de personnes sans arrondir des angles et des détails. Parfois la nuit. Parfois la nuit prépare des jours fastes, ces salariés sous le choc de leur licenciement retrouvent le sourire ou arrêtent de pleurer convulsivement parce que tu es là. toi, l'écoute, le conseil, juste ça, tellement pas compliqué. Parce que tu es seule à le faire à ce moment-là. Les licenciés comme les grands malades font le vide autour d'eux, maman là j'ai peur. Tu remontes la mécanique et ils se battent. Demandent réparation. Là où ils iront, ils t'appelleront, créeront un réseau de non-oubli, tendront non pas la main, qu'elle est idiote cette image, mais l'oreille. Et les yeux, les yeux attentifs. Dimanche s'endort dans discours des familles et la poétique solitaire du délégué veille, affûte. Les mots, première arme poéticosocialorévolutionnaire. C'est en les trouvant que tu modifies le champ du social, en premier lieu dans les réunions de commissions sociales, puis dans les réunions avec la direction. Les mots qui touchent, pas les images, servent à rien. Cas poético-concret, 1 : depuis des mois, les collègues t'alertent sur le cas de cette collègue qui maigrit à vue d'œil, est malmenée par sa supérieure de façon pathologique. Cette collègue vient te voir, elle a déjà moins 5 kg depuis deux semaines, la situation est délétère, tu vas vite, récoltes une attestation du médecin, attestation de collègue, mels prouvant un acharnement maladif de la supérieure, et bing, le reclassement est accordé. La collègue a frôlé le licenciement mais retient surtout qu'elle est encore plus détestée par son ancienne supérieure. Le travail est une arnaque commercialo-affective. Dimanche s'endort dans discours des familles. Ça va le boulot ? Mais oui, maman, j'ai quatre cas de licenciements individuels à défendre actuellement, t'as pas compris, mon boulot c'est du gratuit, c'est une dimension qui ne se réduit pas au quotidien, de l'humain non compactable, et pour le reste, c'est juste pour gagner ma vie. A côté, j'aime la perdre avec ceux qui perdent. C'est ça, la vraie prime.
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